23/02/2023

Les yeux d'Elsa

Magnifique poésie tirée d'un recueil de vingt-six textes de Louis Aragon publiés au fil du temps, entre 1940 et 1942 dans diverses revues, et consacrés à Elsa Triolet, femme de lettre française d'origine russe, avec qui il formera jusqu'à la mort de celle-ci, en 1970, un couple mythique.





Plusieurs chanteurs comme André Claveau ou Jean Ferrat ont interprété "Les yeux d'Elsa", mais c'est la version d'Alain Barrière que je préfère :






Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire 
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer 
S'y jeter à mourir tous les désespérés 
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire 

 À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé 
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent 
L'été taille la nue au tablier des anges 
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés 

 Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche 
Par où se reproduit le miracle des Rois 
Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois 
Le manteau de Marie accroché dans la crèche 

 Une bouche suffit au mois de Mai des mots 
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas 
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres 
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux 

 L'enfant accaparé par les belles images
 Écarquille les siens moins démesurément 
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens 
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages 

 Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où 
Des insectes défont leurs amours violentes
 Je suis pris au filet des étoiles filantes 
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août 

 J'ai retiré ce radium de la pechblende 
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu 
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu 
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

 Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa 
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent 
Moi je voyais briller au-dessus de la mer 
Les yeux d'Elsa
 Les yeux d'Elsa 
Les yeux d'Elsa.


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