12/11/2017

Dernier voyage au Congo

Vingt-cinq ans après avoir quitté Pointe-Noire où nous nous étions mariés le 25 novembre 1967, mon épouse et moi avons été amenés à revenir au Congo afin d’y régler une affaire de succession. 
C’est ainsi que le 26 janvier 1992 nous avons atterri à Brazzaville


Quand l'Airbus A310 de la Sabena à destination de Johannesburg se posa à une heure du matin sur la piste d'atterrissage de l'aérodrome de Maya-Maya, la température atteignait déjà 28 degrés alors qu'il faisait un froid sibérien lorsque nous avions quitté Lyon.
Sur le tarmac, puis à l’intérieur de l’aéroport passablement délabré, nous fûmes surpris de découvrir la présence de nombreux soldats en tenue léopard et béret rouge qui patrouillaient avec leur Kalachnikov. 



Quelques jours plus tôt, le 15 janvier 1992, des militaires s'étaient mutinés à Brazzaville et avaient pris l'aéroport et la télévision pour contester la nomination d'un certain colonel Gangouo au poste de secrétaire d’État à la Défense. Depuis une grande tension régnait dans la capitale congolaise. 
Aussi, les policiers aux frontières effectuant les contrôles d'identité à l'arrivée des passagers se montraient-ils particulièrement pointilleux. 
Après une longue attente, il nous fallut préciser le motif de notre séjour au Congo, présenter un certificat d’hébergement dûment signé et notre billet de retour pour avoir droit à un coup de tampon accompagné d'un griffonnage rageur sur une page de notre passeport.


Lorsque ce fut enfin terminé et que nous eûmes récupéré nos bagages après moult palabres avec un gabelou borné, nous sommes partis à la recherche de l'agence Lina-Congo. 


A cette heure matinale, le guichet était fermé. Seule une pancarte affichée de guingois informait les passagers en transit de l'horaire du vol quotidien à destination de Pointe-Noire : seize heures trente. Nous allions devoir poireauter tout ce temps !... 
Résigné, je songeai que nous aurions ainsi le loisir de visiter la capitale congolaise. 
- Vous n’y pensez pas, patron, s'exclama le chauffeur de taxi quand je lui fis part de mes intentions en nous engouffrant dans son véhicule. L’armée quadrille Brazzaville. Depuis les derniers évènements, il y a des barrages partout. Croyez-moi, ce n’est présentement pas le bon moment pour aller faire une tour dans le centre-ville. C'est dangereux ! Trop même… Vrai de Dieu ! 
Il ajouta, d’un air moitié figue et moitié raisin : 
- J'ai un frère, "même père, même mère, même marigot", qui travaille à l’Hôtel Regina. C’est à deux pas d’ici. Les prix sont très raisonnables. Et il y a l’air conditionné. Je vais vous y conduire. Vous vous reposerez bien tranquillement. A midi, vous mangerez un bon saka-saka et ensuite je passerai vous prendre pour vous conduire à l’aéroport. 
Ainsi fut-il décidé. 


Dans la chambre, les draps rêches étaient d’une propreté douteuse. Le ronronnement d’un climatiseur indigent ne parvenait pas à couvrir le glouglou lancinant de la chasse d’eau qui fuyait dans les toilettes. Au petit jour, nous avons tout de même fini par nous endormir pour nous réveiller en fin de matinée. L’eau de la douche avait une couleur de rouille. Après avoir revêtu une tenue légère, nous avons tiré les rideaux effrangés pour observer par la fenêtre le spectacle de la rue. Tout autour de l'hôtel, la végétation commençait à envahir les murs de maisons en ruine. Mis à part des véhicules chargés de militaires, il n’y avait pratiquement pas de circulation sur l’avenue toute crevassée. 



Notre estomac commençant à crier famine, nous sommes descendus à la réception pour nous enquérir des possibilités de nous restaurer. Le concierge de l'hôtel nous conduisit vers un patio entouré d'un mur surmonté d'une grille et d’une haie d’hibiscus. La chaleur y était supportable. 


Nous avons déjeuné d'un plat de viande de mouton cuite dans une sauce à base de feuilles de manioc. C'était fortement pimenté mais mangeable. Au moment du café, je posai la question qui me taraudait depuis notre arrivée : 
- Que se passe-t-il donc en ville? 
Une ombre passa sur les yeux du serveur qui répondit en hochant la tête avec gravité : 
- Il y a encore eu des troubles. Quand ce n'est pas avec les militaires, c'est avec les milices politiques...
Le brave homme alla  chercher  un poste radio-combiné dans lequel il introduisit la cassette enregistrée de la chanson "Ancien combattant", le grand succès de Zao, un chanteur congolais qui avait connu la célébrité quelques années plus tôt. 
- Écoutez, patron : 


 A la fin de la chanson, j'ai demandé : 
- Et à Pointe-Noire, comment ça se passe ? 
- Dans le Kouilou-Niari c’est plus tranquille. Là-bas il y a le pétrole, vous comprenez. 
Peu avant seize heures, le taximan vint nous chercher comme convenu pour nous conduire à l'aéroport de Maya-Maya, d'où nous nous sommes enfin  envolés pour Pointe-Noire.




***

Plusieurs semaines avant notre départ pour l'Afrique, il nous avait fallu obtenir un certificat d'hébergement, obligatoire au Congo. Nous n'avons finalement pu trouver à nous loger pendant notre séjour à Pointe-Noire qu'au "Pavillon bleu", l'hôtel-restaurant de Paulette Poullennec où, vingt-cinq ans plus tôt, notre repas de noces avait été organisé.



Également propriétaire du bar-restaurant de l'aérogare, Paulette Poullennec était venue en personne nous attendre, tels des V.I.P, à la descente de l'avion. 



C’était une alerte octogénaire qui avait passé toute sa vie au Congo. Petite bonne femme à la chevelure frisottante et teinte en roux flamboyant, elle portait en permanence des lunettes à verres teintés aux énormes montures d’écaille, façon Marcel Achard. Elle avait des bras charnus, une imposante poitrine qui débordait de sa robe de coton imprimé et elle se plaignait sans cesse de ses pieds qui la faisaient affreusement souffrir. En dépit de la proximité de l’océan, la chaleur était extrême et la brave Paulette transpirait à grosses gouttes. 



Le trajet de "l’aviation" à l’hôtel dura à peine plus de dix minutes. L’avenue de Gaulle, l’artère principale de Pointe-Noire, était criblée de nids de poule et il fallait des talents de slalomeur pour les éviter. Tout au bout de l’avenue, devant la gare du CFCO, Paulette Poullennec tourna à droite et emprunta la route menant au port. 


La chaussée était à présent complètement défoncée. Des oiseaux-éboueurs cherchaient leur pitance dans les ordures ménagères qui envahissaient les trottoirs attendant d'être brûlées sur place sous un ciel brumeux. A Pointe-Noire, les services de voirie ne semblaient pas profiter de la manne pétrolière… 
Mais contrairement à la capitale, la ville portuaire affichait une étonnante sérénité et l'on ne rencontrait dans les rues pas le moindre militaire ou milicien.

Paulette Poullennec nous fit les honneurs de son établissement. Tout un côté de la vaste salle de bar meublée de tables et de fauteuils en rotin était occupé par un immense comptoir derrière lequel officiait un serveur en livrée rouge galonnée d'or. Au dessus, on pouvait admirer une impressionnante collection de bouées de sauvetage. 



Ensuite, c'était une salle à manger à ciel ouvert. Sur la droite, des perroquets du Gabon, ces jacquots gris cendré à queue rouge, s’égosillaient à qui mieux mieux dans une grande volière. 


Et enfin, arrivés à la partie hôtel du Pavillon bleu, madame Poullennec se retourna vers nous pour nous annoncer avec un sourire montrant ses nombreuses dents en or : 
- Je vous ai réservé la suite présidentielle. 
C'était une véritable bonbonnière. Il s’agissait en fait de l’ancien appartement privé de Paulette qui y avait d’ailleurs laissé de nombreux souvenirs personnels, des livres aux belles reliures et des piles de disques datant des années quarante et cinquante. 
- Vous êtes ici chez vous, nous dit-elle.
Et elle s’éclipsa après avoir tiré les rideaux et mis la climatisation en marche.  

Le lendemain, nous avons constaté avec tristesse que le Pointe-Noire que nous avions connu s'était terriblement dégradé. Les routes n'étaient plus entretenues et il en était de même de nombreux bâtiments. C'était désolant...

La maison Baptista, avant...
... la même en 1992

L'arrière du bâtiment

La cathédrale de Pointe-Noire avant...
... la même en 1992

Huit jours après notre arrivée, notre mission accomplie, nous ne fûmes pas fâchés de quitter définitivement le Congo.




***


- Salut François. Tes souvenirs commencent à dater. Pointe-Noire a beaucoup changé depuis ton dernier passage.  Alain G.
L'aéroport que tu as connu 

et celui d'aujourd'hui :


- Merci Alain. Impressionnant en effet. FS