22/10/2017

Un voyage en Pologne

J'ai attendu que l'Aigle Blanc (Orzeł Biały), symbole de la Pologne...


... retrouve sa couronne supprimée en 1945 par les communistes, pour effectuer mon premier voyage au pays d'origine de mes parents.
C'est ainsi qu'au mois de juillet 1991, je suis parti en voiture, avec mon épouse, ma fille...


... et une liasse de billets de dix dollars, en direction de Dulcza Mała, le village natal de ma mère situé au sud-est de la Pologne, dans la région de Cracovie, entre Tarnow et Mielec.


Après avoir traversé tranquillement la Suisse, l'Autriche et la Tchécoslovaquie, le passage de la frontière polonaise à Kudowa s'avéra plus pointilleux...


Je me souviens ensuite d'une soirée et d'une nuit assez mouvementées à Opole, notre première escale polonaise, où il nous fallut ensuite, pour pouvoir régler la note d'hôtel, trouver où échanger quelques dollars contre des zlotys dont les coupures comportaient des tas de zéros derrière le premier chiffre. Les pièces de monnaie n'existaient pas ; la ferraille ne risquait pas de trouer les poches. Par contre, on devait se balader avec des paquets de zlotys car il fallait payer pour tout. Pour aller au pipi-room (souvent de répugnantes chiottes à la turque...) il fallait sortir une coupure de 50 zlotys. Une bouteille de Zytnia, la wodka populaire, coûtait 25.000 zlotys (à l'époque, 1 franc représentait 2.500 zl)...


C'est donc millionnaires en zlotys que nous avons repris la route vers Częstochowa, le "Lourdes polonais".


Je tenais à me recueillir devant l'icône de la Vierge noire que ma mère portait en grande vénération. Matka Boską Częstochowskę, comme on l'appelle là-bas, veille sur les Polonais depuis des siècles. Elle est le symbole de la foi de la nation polonaise et porte le titre de "Reine de la Pologne".





Ce fut ensuite une escale à Cracovie, l'ancienne capitale où nous avons acheté quelques souvenirs dans les boutiques d'artisanat local du Sukiennice...







... et enfin, nous avons trouvé, non sans mal (le GPS n'existait pas à l'époque), un panneau routier indiquant la direction de Dulcza Mała. 


A l'entrée du village en pleine cambrousse, il y avait une belle église en construction,...


... l'unique rue était bordée de maisonnettes en bois et se terminait en cul de sac dans l'herbe folle moins d'un kilomètre plus loin. 




Dulcza Mała ne semblait pas avoir beaucoup évolué par rapport à ce que j'en avais entendu dire par ma mère.
Dans l'unique boutique, on trouvait encore de nombreuses affichettes avec l'inscription "nie ma" (il n'y en a pas) qui avaient fleuries partout à l'époque du sinistre général Wojciech Jaruzelski.


Il faut dire que le pouvoir communiste avait mis la Pologne dans un triste état de pénurie alimentaire. Je me souviens avoir vu à la télé des reportages sur les pays de l'est montrant des queues invraisemblables de gens résignés qui poireautaient devant des magasins vides.
Dans l'épicerie de Dulcza Mała, seuls les rayons de wodka Zytnia et de cornichons aigres-doux (ogurki kiszone) étaient bien approvisionnés...


... j'en achetai un bocal et demandai à la gérante du magasin si le nom de Zofya Ostręga lui disait quelque chose. Étonnée de m'entendre parler polonais, la brave dame qui m'avait sans doute pris au début pour un Martien, me suggéra d'aller voir l'ancienne du village, une octogénaire qui avait peut-être connu ma mère. 
La vieille "baba" édentée, un foulard noué sous le menton et marchant pieds nus,  s'en souvenait effectivement.
- Dawna wyjechała do Ameryki (il y a longtemps qu'elle est partie en Amérique), me répondit-elle d'une voix éraillée.
Là-bas, à l'époque, lorsqu'on quittait le pays, c'était forcément pour aller faire fortune aux États-Unis...
La vieille dame m'a ensuite indiqué où se trouvait la maison natale de ma mère. L'isba, abandonnée depuis bien des années, était en piteux état mais toujours debout.

La maison des Ostręga
Le cœur serré, j'ai pris cette photo et nous sommes partis assez précipitamment, suivis de près par deux types à la physionomie patibulaire jusqu'à la sortie du village. Ceux-là roulaient en grosse Volvo, tandis que dans le coin les gens circulaient surtout dans des carrioles aux roues garnies de vieux pneus, tirées par des chevaux faméliques.  


Tout au long de la route vers Varsovie, on pouvait voir des étals de petits tas de fruits ou de légumes. Et partout des marchands de "marlboro", le nom donné alors aux cigarettes ; on ne disait plus papieros mais marlboro. C'était devenu un nom commun utilisé même pour désigner les "Caro", les cigarettes populaires vendues parfois... à l'unité. Comme en Afrique noire...


C'était dur de quitter le marché à l'économie pour passer à l'économie de marché !...
Au bord de la route, nous croisions également énormément de gens se baladant avec un sac en plastique à la main. On ne savait jamais, ça pouvait toujours servir... Si on trouvait une bonne occasion en chemin, quelque chose à ramener à la maison. C'est fou ce que les Polonais de la campagne pouvaient marcher! Il est vrai que tout le monde ne pouvait pas se payer une "Fiat-Polski" ou voyager à bord de ces autocars  poussifs crachant la fumée noire et nauséabonde de l'olej napendowe, le gasoil local qui devait alors être drôlement raffiné pour puer de la sorte...


En fin de soirée, ce jour-là, nous ne fûmes pas fâchés d'arriver à Varsovie. 
Mais ce sera une autre histoire...



***


Commentaires :
- Très beau reportage et de bons souvenirs aussi. Alain  

- Merci Alain. La situation a dû évoluer depuis (un quart de siècle...) si j'en juge par cette photo récente trouvée sur Internet de l'église et son environnement...