C'était au printemps de l'année 1956...
A l'école, jusqu'à présent, j'avais continuellement été abonné à la place de premier de la classe. Ma mère voulait que son enfant, fils d'émigrés polonais élevé par une veuve qui se tuait au travail, soit toujours le meilleur. Or, cette année-là, mes résultats scolaires s'étaient soudainement dégradés. Au classement trimestriel, j'allais me retrouver septième sur trente-deux élèves.
La honte !
Il n'était pas question pour moi de présenter un tel bulletin à maman.
Alors je ne voyais qu'une solution : quitter l'école et la maison.
La honte !
Il n'était pas question pour moi de présenter un tel bulletin à maman.
Alors je ne voyais qu'une solution : quitter l'école et la maison.
Sachant que ma mère cachait ses maigres économies dans le buffet Henri II de la salle à manger, je lui ai dérobé quelques billets.
Et je suis parti à l'aventure, non sans un pincement au cœur.
Le lendemain je me retrouvai dans le Midi de la France où je n'avais encore jamais mis les pieds. Je découvris alors Marseille, Nice, Cannes, la Méditerranée. Puis je me suis arrêté par hasard à Golfe-Juan. Je pris alors pension chez une dame charmante, madame Capra, qui tenait l'Hôtel de la Paix, à deux pas de la mer.
Je n'avais pas encore quinze ans, mais je m'en étais donné dix-huit en me faisant passer sous une fausse identité pour un étudiant des Beaux-Arts venu peindre sur la Côte d'Azur.
Quelques jours après mon arrivée, la patronne de l'hôtel me présenta à l'un de ses clients avec lequel elle discutait au bar, un certain Jaque Sagan, céramiste à Vallauris, la ville voisine.
Un curieux personnage ce Jaque Sagan. Plutôt grand, assez bel homme, toujours bien soigné dans sa mise, il avait un regard triste et des cheveux moirés comme des ailes de corbeau qu'il plaquait en arrière avec des tonnes de gomina. Ancien artiste de music-hall, il avait présenté dans les plus grands cabarets du monde un numéro de caniches savants. Il fut l'un des nombreux amants d’Édith Piaf et lorsqu'elle le quitta au profit de l'un des Compagnons de la Chanson, il laissa tout tomber pour s'installer à Vallauris où c'était alors l'âge d'or de la céramique d'art.
Jaque Sagan connut rapidement un certain succès comme céramiste. Mais quand son décorateur partit en Algérie accomplir son service militaire, il lui fallut trouver rapidement un remplaçant.
Sous le pseudonyme de Bernard Modace, un nom que j'avais inventé avant mon départ, je suis devenu ainsi sur le champ peintre sur céramique dans son atelier situé non loin de celui de Picasso, chemin du Fournas.
Sur les conseils de Jaque Sagan, je me suis installé chez un nommé Bassino qui tenait l'hôtel des Voyageurs situé dans la rue principale de Vallauris.
Dans l'atelier de Jaque Sagan mon travail fut immédiatement apprécié et je me vis proposer un salaire deux fois plus élevé que celui de ma mère à l'époque.
Je me sentais libre. Mon premier achat fut d'ailleurs un blue-jeans, ce symbole de la jeune génération que je n'avais encore jamais eu le droit de porter à la maison.
Le dimanche, Jaque Sagan m'invitait à déjeuner dans sa superbe villa du chemin de Linthier, sur les hauteurs de Vallauris, où il habitait avec une vieille gouvernante suédoise. C'est là que j'ai découvert Cab Calloway et sa fameuse Minnie the Moocher...
... et où j'ai entendu pour la première fois des chansons de Georges Brassens qui resteront à jamais gravée dans ma mémoire...
Le dimanche, Jaque Sagan m'invitait à déjeuner dans sa superbe villa du chemin de Linthier, sur les hauteurs de Vallauris, où il habitait avec une vieille gouvernante suédoise. C'est là que j'ai découvert Cab Calloway et sa fameuse Minnie the Moocher...
... et où j'ai entendu pour la première fois des chansons de Georges Brassens qui resteront à jamais gravée dans ma mémoire...
... tout particulièrement celle-ci :
Lorsque je me rendais à l'atelier, je passais chaque jour devant la maison où vivaient Tobias Jellinek, ferronnier d'art et trompettiste britannique, et sa compagne Sylvette David. J'avais sympathisé avec cette dernière, alors âgée d'une vingtaine d'années, une jolie blonde surnommée la "fille à la queue de cheval" depuis qu'elle avait posé pour Picasso, deux ans plus tôt.
Pendant mon séjour à Vallauris, Jaque Sagan nous avait emmené un dimanche après-midi, sa gouvernante et moi, dans sa voiture noire qui ressemblait à un taxi londonien, au cinéma à Antibes où l'on passait le film "7 ans de réflexion" avec Marilyn Monroe, son actrice préférée dont je n'avais jamais entendu parler auparavant.
Allant de découverte en découverte, je menais avec passion ma nouvelle vie, tandis qu'à la maison, ma mère était folle d'inquiétude et de chagrin. Elle avait immédiatement signalé la fugue de son fils à la police. Une demande de recherche dans l'intérêt des familles avait été déposée et tous les policiers de France et de Navarre étaient censés être à mes trousses.
Finalement, Jaque Sagan, à qui, mis en confiance j'avais avoué un jour toute la vérité, écrira sans que je le sache à ma mère pour lui dire où je me trouvais. Il déclara dans son courrier être très satisfait de mon travail et ne demandait qu'à me garder à son service.
Quelques jours plus tard, sortant de l'église de Vallauris où j'étais allé dire une prière pour demander le pardon de ma mère, je trouvais celle-ci folle de bonheur de m'avoir retrouvé.
C'était miraculeux.
Après avoir craint le pire, maman était enfin soulagée. M'ayant pardonné, elle n'eut aucune difficulté à me faire accepter de revenir avec elle au bercail.
En définitive, je crois qu'elle était assez fière de moi.
Commentaires :
Lorsque je me rendais à l'atelier, je passais chaque jour devant la maison où vivaient Tobias Jellinek, ferronnier d'art et trompettiste britannique, et sa compagne Sylvette David. J'avais sympathisé avec cette dernière, alors âgée d'une vingtaine d'années, une jolie blonde surnommée la "fille à la queue de cheval" depuis qu'elle avait posé pour Picasso, deux ans plus tôt.
Picasso et Brigitte Bardot (1956) |
"L'homme au mouton", sculpture de Picasso offerte à la ville de Vallauris en 1949 |
Pendant mon séjour à Vallauris, Jaque Sagan nous avait emmené un dimanche après-midi, sa gouvernante et moi, dans sa voiture noire qui ressemblait à un taxi londonien, au cinéma à Antibes où l'on passait le film "7 ans de réflexion" avec Marilyn Monroe, son actrice préférée dont je n'avais jamais entendu parler auparavant.
Allant de découverte en découverte, je menais avec passion ma nouvelle vie, tandis qu'à la maison, ma mère était folle d'inquiétude et de chagrin. Elle avait immédiatement signalé la fugue de son fils à la police. Une demande de recherche dans l'intérêt des familles avait été déposée et tous les policiers de France et de Navarre étaient censés être à mes trousses.
Finalement, Jaque Sagan, à qui, mis en confiance j'avais avoué un jour toute la vérité, écrira sans que je le sache à ma mère pour lui dire où je me trouvais. Il déclara dans son courrier être très satisfait de mon travail et ne demandait qu'à me garder à son service.
Quelques jours plus tard, sortant de l'église de Vallauris où j'étais allé dire une prière pour demander le pardon de ma mère, je trouvais celle-ci folle de bonheur de m'avoir retrouvé.
C'était miraculeux.
Église sainte Anne-Saint Martin - VALLAURIS (Alpes Maritimes) |
Après avoir craint le pire, maman était enfin soulagée. M'ayant pardonné, elle n'eut aucune difficulté à me faire accepter de revenir avec elle au bercail.
En définitive, je crois qu'elle était assez fière de moi.
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Commentaires :
- Le musée Magnelli, musée de la céramique de Vallauris prépare pour l'été 2020 une exposition sur la céramique des années 50. Nous souhaitons évoquer la personnalité de Jacque Sagan que semble-t-il vous avez connu. Dans cette perspective, nous vous contactons afin de savoir si vous auriez des informations utiles à nous transmettre. En vous remerciant par avance de votre collaboration Bien cordialement, Céline Graziani Attachée de conservation Musée Magnelli, musée de la céramique Vallauris.(04.02.2020)
- à Céline Graziani : C'est avec un plaisir quelque peu étonné que j'ai pris connaissance de votre message laissé sur le formulaire de contact de mon blog, auquel, comme je m'y suis engagé, je m'empresse de répondre. Si les moteurs de recherches d'internet vous ont dirigée sur mon blog, je suppose que vous êtes allée jeter un coup d’œil sur cette page concernant mon "aventure" à Vallauris Je ne pense pas avoir grand chose à ajouter à ce que j'ai écrit dans ce billet. Mes souvenirs datent de plus de 60 ans, et j'ai passé moins de 3 mois dans l'atelier de Jaque Sagan... Bien à vous. FS