29/04/2017

Claudine Job

A Osny, petite commune de Seine et Oise près de Pontoise, une congrégation de pères pallottins venue de Pologne avait pour tradition depuis 1947 de réunir tous les premiers dimanches de juillet les catholiques polonais de France pour une rencontre annuelle (Zjazd Polakow w Osny) dans le parc du château de Busagny appartenant à l'institution Saint-Stanislas dirigée par leur communauté.
 

J'étais âgé depuis peu de 18 ans et j'étrennais un costume pied-de-poule d'une coupe sans défaut quand, le dimanche 5 juillet 1959, j'accompagnai ma mère à cette manifestation patriotico-religieuse. Mon frère Edmond, revenu l'année précédente de son service militaire effectué en Algérie, nous y avait conduit dans sa première voiture, une Simca Aronde qu’il venait d’acheter. 



Après une interminable grand-messe célébrée en plein air, évêques mitrés, prêtres et religieuses psalmodiant des prières, avaient formé une longue procession avec de très nombreux fidèles dont certains portaient des costumes folkloriques.


Ensuite, nous nous sommes mis en quête d'un endroit pour piqueniquer à l'ombre des arbres du parc. Les places étaient rares. Mon frère finit par trouver où se poser dans le voisinage d’une Peugeot 403 familiale immatriculée dans le département de l’Oise.


Parmi les sept personnes assises en tailleur autour d’une nappe étalée sur l’herbe, mon regard avait croisé celui d’une belle jeune fille blonde. Quand elle répondit au sourire que je lui adressais, je sentis comme un frisson me courir le long de l’échine. 
Plus tard, quand nous eûmes avalé notre sandwich, voyant que ma mère ne semblait pas avoir envie de bouger, je me suis levé et après avoir brossé de la main mon pantalon pour enlever d’éventuels brins d’herbe, je me dirigeai vers la 403 Peugeot. Avec un sourire angélique, la jolie blonde me regarda m’approcher et m’arrêter devant elle et sa famille. 
- Lorsque vous aurez terminé de déjeuner, aimeriez-vous faire une petite balade avec moi dans les parages ? lui demandai-je. 
Je marquai une pause avant d’ajouter : 
- Si vos parents le permettent, bien entendu… 
La demoiselle fut vite sur ses jambes. 
Nous avons marché un moment avant de nous installer l’un en face de l’autre dans une buvette où une table venait de se libérer. 
Et nous sommes restés là, sans nous préoccuper du temps qui passait, à faire connaissance, en nous regardant au fond des yeux. 
Elle s’appelait Claudine Job. Ses parents, d’origine polonaise, avaient vécu à Chivy-les-Etouvelles, dans l'Aisne, avant de s'établir à Senlis où son père, qui paraissait moins pauvre que le personnage biblique dont il portait le nom, était quelque chose comme forestier et fournissait son bois à une fabrique d’allumettes située entre Senlis et Compiègne. 



Claudine avait un an de moins que moi. Sa sœur aînée, Christiane qui avait mon âge, était fiancée avec un nommé Christian Sterbé, lequel faisait alors son service militaire à Compiègne et venait pratiquement chaque week-end en permission retrouver sa dulcinée. Claudine me parla ensuite de ses deux jeunes frères, Jean-Claude, quatorze ans et le petit dernier, Pascal qui devait avoir quatre ou cinq ans.
Tandis que nous conversions, mes yeux ne pouvaient pas se détacher de son visage. 
Mon Dieu!... Qu'elle était belle... 

Je n’ai aujourd'hui aucune photo de Claudine, ni l’un des portraits que j’avais peints à l’époque où nous nous sommes aimés. Mais dans mon souvenir, ses traits ressemblaient à ceux de cette jeune actrice allemande vue dernièrement à la télévision.
 
Sonja Gerhardt

Il nous fallut bientôt rejoindre nos familles respectives. Chemin faisant, nous avons échangé un premier baiser et avons convenu de nous revoir le dimanche suivant à Senlis où elle demeurait chez ses parents, dans une grande maison bourgeoise, rue Saint-Frambourg, à deux pas de la cathédrale. 





C’est dans cette cathédrale que l'archiprêtre bénira l’année suivante nos fiançailles officielles en présence de nos familles réunies. 


Je me souviens avoir ensuite acheté ma première voiture pour nous retrouver plus aisément, une petite Vespa 400 avec laquelle nous sommes allés faire un tour en Normandie pour visiter Honfleur et voir le pont de Tancarville inauguré en 1959.







Et puis, il a fallu que le père Job fasse des siennes... Quel Gâchis !




***



Addenda


Je l'appelais Claudine... Elle ne m'a jamais donné de ses nouvelles après notre séparation forcée
Une soixantaine d'années plus tard, je découvre que Claude, Thérèse Job, née le 7 septembre 1942 à Chivy-les-Etouvelles, était décédée le 25 septembre 2018 à l'âge de 76 ans. 



Elle demeurait à Fleurines, une petite commune de 1880 habitants située à 6 kilomètres au nord de Senlis.
Paix à son âme.

*

Curieusement, sa sœur Christiane et son frère Jean-Claude sont décédés au cours de cette même année 2018 :  





Leur père les avait précédés 15 ans plus tôt.