Un beau matin du mois d’avril 1958, je me suis rendu en VéloSolex à l’usine "La Cellophane" de Bezons, située au bord de la Seine, à moins de quatre kilomètres de la maison.
J’avais rendez-vous avec le responsable du personnel qui me fit passer une longue série de tests devant lui permettre de contrôler mes connaissances acquises, de mesurer mon adaptation sociale, mes aptitudes au raisonnement, à la perception des formes, etc. Il me présenta par exemple une série de planches de taches symétriques en me demandant à quoi elles me faisaient penser.
J’eus ensuite droit à une dictée d’une page et à un problème d’arithmétique à résoudre et pour terminer, je dus lui dessiner un arbre.
Je m’étais exécuté en pensant qu’on ne m’avait pas fait autant de manières chez Strauss-Vonderweidt et chez Jaque Sagan où j’avais précédemment été embauché sur ma bonne figure.
Je m’étais exécuté en pensant qu’on ne m’avait pas fait autant de manières chez Strauss-Vonderweidt et chez Jaque Sagan où j’avais précédemment été embauché sur ma bonne figure.
Mais c’est ainsi que je fus engagé sur le champ en qualité d'aide-chimiste dans le laboratoire de La Cellophane avec un salaire plus que décent. J’occuperai le poste du dénommé Bernard Cariat parti accomplir son service militaire en Algérie, lequel deviendra plus tard l’un de mes meilleurs copains.
Je me demandais en quoi consisterait mon travail d'aide-chimiste, alors que je me souvenais tout juste de la formule de l’eau apprise à l'école : H2O, signifiant qu’une molécule d’eau est composée de deux atomes d'hydrogène et d’un atome d'oxygène...
Au fond de l’usine, le laboratoire était situé au dernier étage d’un grand bâtiment cubique.
A chacun des niveaux inférieurs, on pouvait voir un personnel nombreux s’activer autour d’impressionnantes machines bruyantes. Ils portaient tous une combinaison de couleur café au lait, l’uniforme des ouvriers de la Cellophane. Seule la fine fleur de l’établissement, dont les gens travaillant au laboratoire faisaient partie, avaient droit à la blouse blanche. Et les très grosses huiles paradaient en complet-veston.
Je fus présenté à Jean Béhague, l’ingénieur-chimiste responsable du service Recherches et Développement. La cinquantaine largement entamée, le cheveu rare et ébouriffé, plutôt grand, il avait quelque chose de rassurant.
Je fis ensuite la connaissance des trois chimistes chevronnés qui composaient son équipe. Tout d'abord, Jean Bessemoulin, un costaud aux cheveux roux gominés, toujours la pipe au bec, qui s'occupait des complexes cellulosiques, enductions, vernis copolymères, colles et adhésifs.
Son collègue Jacques Robert, profil de médaille et crâne dégarni, travaillait sur les nouvelles matières synthétiques, polychlorure de vinyle, polyane ou terphane, et s'intéressait tout particulièrement au thermoformage du chlorure de polyvinyle.
Enfin, Roger Marin, un vieux garçon taciturne d’une quarantaine d’années, était le grand spécialiste des vernis et pigments destinés à la fabrication des encres d'imprimerie sur pellicules cellulosiques. C'est avec lui que je devais travailler.
Sans oublier Achour, un Marocain portant un béret enfoncé jusqu’aux sourcils et un vêtement de travail tout souillé. Il œuvrait dans un local attenant au labo, où étaient entreposés, dans d’énormes bidons métalliques, les solvants, trichloréthylène, méthanol ou toluène qu’il utilisait pour faire la vaisselle du matériel utilisé par les chimistes.
Sous les baies vitrées entourant la vaste salle du laboratoire, la paillasse carrelée de blanc était encombrée de cornues, de ballons de verre, d’éprouvettes, de tubes à essai et de béchers de toutes dimensions.
Au milieu du labo, une immense table supportait de lourds broyeurs, des agitateurs, des balances, des pots, des flacons ventrus. Et juste derrière, deux reproductions en modèle réduit des machines qui tournaient dans les étages inférieurs, servaient aux essais d’impression en héliogravure ou flexographie de la pellicule cellulosique.
Il ne me fallut pas longtemps pour me faire apprécier et adopter par le personnel du laboratoire où essais, analyses, compositions, dosages, manipulations, dessiccations, expériences et comptes-rendus d’observations firent partie de mon quotidien durant les trois années qui précédèrent mon départ à l’armée.
Pendant cette période, je fus également élève de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Paris, tout en suivant pendant un an des cours collectifs du soir à l’École Technique de Publicité de la rue Duperré, puis à L’École Estienne des Arts et des Industries graphiques.
C’est par ailleurs à cette époque que, participant aux expositions de peinture organisées chaque année par la Cellophane de Bezons, j’ai vendu mes premières toiles.
Expo 1959 |
A mon retour du service militaire en janvier 1963, je suis retourné à la Cellophane de Bezons où mon ancien poste au laboratoire était occupé. On m’a alors proposé une promotion entrainant une augmentation de ma rémunération et… ma mutation au siège social de la Cellophane à Paris.
J’ai quitté avec regret le labo de Bezons dont je garde un souvenir inoubliable.
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RIP