21/04/2017

Souvenirs de Saint-Germain-en-Laye


Le chef-lieu d'arrondissement du département des Yvelines (Seine et Oise à mon époque) est situé à environ vingt-cinq kilomètres à l'ouest de Paris et huit kilomètres de Carrières-sur-Seine où je demeurais.
Pendant près de deux ans, je me suis rendu chaque jour à Saint-Germain pour aller chez Strauss-Vonderweidt où j'avais trouvé un petit job d'employé de bureau à mon retour de Vallauris.



Je devais prendre le train à Chatou, puis j'avais deux bons kilomètres à parcourir à pieds depuis la gare de Saint-Germain...
 

... surplombée par un magnifique château Renaissance qui abritait le musée des Antiquités nationales...


... en face d'une église entourée de bistrots.


Par tous les temps, il me fallait ensuite traverser le centre ville, en passant par la Poste et la place du marché pour  atteindre la "route de Quarante sous", surnom donné à la rue du Président Roosevelt qui allait vers Chambourcy.

Chez Strauss-Vonderweidt, les gens s'appelaient par leur prénom. Au bureau il y avait monsieur Robert, le fils de l'un des patrons, un Alsacien nommé Schneider à l'accent très prononcé, qui avait pour associé un certain Edmond Lévy. La secrétaire, madame Renée, portait des corsages au décolleté en forme de tirelire, des jupes très moulantes avec une large ceinture élastique noire, et des escarpins à hauts talons. Je trouvais qu'elle ressemblait à Marlène Dietrich.
 


Son mari venait d'être rappelé en Algérie pour, officiellement participer aux opérations de maintien de l'ordre et de pacification. Elle se morfondait à attendre son retour avec son fils de trois ou quatre ans dont elle me disait qu'elle aurait aimé qu'il me ressemble plus tard. "Si elle savait", me disais-je en pensant à mon escapade à Vallauris...
Le comptable, c'était monsieur Pierre, l'aide-comptable, madame Bernadette, les deux dactylos-facturières, madame Odette et une demoiselle Liliane. Et enfin il y avait moi. J'étais chargé du classement, du courrier et du suivi des commandes. 
A l'entrepôt, ils étaient une dizaine d'employés, réceptionnistes et préparateurs, plus un chauffeur-livreur.
Entre midi et quatorze heures, l'entreprise étant fermée, tous ces braves gens allaient tranquillement déjeuner chez eux tandis qu'étant le seul à ne pas habiter à Saint-Germain, je devais me contenter de me balader en solitaire dans le parc attenant au château. Là, je partageais avec les moineaux et les écureuils le casse-croûte que maman m'avait préparé.


Et puis, je regagnais fourbu le bureau après avoir trottiné pendant deux heures.
Par temps de pluie ou en plein hiver, je pris l'habitude d'aller me réfugier dans l'arrière-salle du café de l'Industrie, près de la Poste.



Je m'installais toujours à la même table, près du juke-box, commandais un café pour accompagner mon sandwich et restais là à observer les clients en écoutant les disques qu'ils avaient sélectionnés. Parmi ces clients, une très belle femme brune, vêtue d'un long manteau bordé de fourrure au col et aux poignets, venait ponctuellement s'asseoir à la table voisine en compagnie de deux ou trois collègues qui travaillaient avec elle à la poste. Ils l'appelaient "Baronne", ce qui lui allait admirablement bien. Elle avait une telle classe ! Grande, mince, racée, ses longs cheveux ramenés en queue de cheval attachée avec un ruban de velours rouge, elle devait avoir entre trente et quarante ans.
Invariablement, l'un de ses chevaliers servants allait introduire des pièces de monnaie dans le juke-box pour faire écouter à la belle des disques d'Amalia Rodrigues, sa chanteuse préférée. C'est ainsi que je découvris la célèbre fadista et j'eus la chair de poule en l'entendant pour la première fois interpréter Barco negro de sa voix envoûtante.


 

Au fil des mois, je devins un habitué du café de l'Industrie, et lorsque l'on entendra au juke-box Dalida chanter son premier grand succès, je deviendrai, en tout bien tout honneur, le Bambino de la "Baronne".



Au bureau, tous les soirs, alors que tout le monde avait terminé sa journée de travail, je devais attendre que le père Schneider ait signé son courrier pour le mettre sous pli. Et il y en avait souvent un gros paquet ! D'un bon coup de langue, je collais les enveloppes gommées puis je les affranchissais pour aller les déposer à la Poste...


... où il me fallait parfois faire la queue au guichet, lorsqu'il y avait des envois en recommandé. Et je rentrais à des heures impossibles à la maison...


Le temps passa et j'en eus bientôt assez de faire chaque jour le même long trajet. 

Lorsqu'une voisine nous annonça que son mari pouvait me faire entrer à la Cellophane de Bezons, beaucoup plus près de chez nous, j'ai décidé de quitter Strauss Vonderweidt & Cie...






***

Je ne suis revenu à Saint-Germain que pour rendre visite à ma mère à l'hôpital quelques années plus tard. C'est là que je la verrai pour la dernière fois.