30/05/2017

Au feu !

Gilles Fradin, l’un de mes copains qui habitait à trois pas de chez moi, travaillait dans une agence bancaire de la rue de Provence à Paris. Traditionnellement, la banque organisait une fête pour son personnel à l’occasion de la présentation des vœux de nouvel an. Cette année-là, c’est un concert d’Alain Barrière, le chanteur à la mode, qui avait été programmé. Mon copain m’avait gentiment invité et c’est ainsi que dans la soirée du vendredi 8 janvier 1965, nous sommes allés applaudir l’auteur et interprète des grands succès d’alors, "Ma vie", "Plus je t’entends" ou "Elle était si jolie".





Ayant ensuite fait la tournée des grands-ducs, nous ne sommes rentrés qu’au petit jour le lendemain matin. Arrivé devant la maison, je vis un panache de fumée sortir de la fenêtre cintrée de la chambre mansardée du second étage. 




J’eus un mauvais pressentiment en mettant ma clé dans la serrure. Je suis entré et j’ai tourné sans résultat le commutateur. Pas de lumière. Les plombs avaient sans doute sauté. Dans le noir, j’ai traversé la cuisine puis la salle à manger. Dans l’une comme l’autre pièce du rez-de-chaussée, il n’y avait pas de flamme. Seulement une sorte de brouillard et une bizarre et irritante odeur âcre. De mémoire, je me suis dirigé vers la porte qui donnait sur l’escalier menant aux étages. Je l’entrouvris et dus aussitôt la refermer. La montée était envahie par une épaisse fumée opaque et suffocante qu’il était impossible de traverser sans risquer l’asphyxie.
Je n’avais pas le téléphone à cette époque et il ne me restait plus qu’à aller chez les pompiers à deux bons kilomètres de la maison. Accompagnés par les hurlements de leur sirène, ils sont arrivés sur place près de vingt longues minutes plus tard.
Tandis que l'un d'eux, équipé d’un masque à gaz, empruntait l’escalier pour grimper au premier étage, ses collègues, juchés sur la grande échelle, arrosaient copieusement l’intérieur avec une lance d'incendie, après avoir brisé les volets et les vitres et attaqué à la hache les montants des fenêtres. 
Il fallut plus d’une heure pour circonscrire l’incendie qui n’avait pas fait la moindre flamme…
La veille au soir, avant de partir, j'avais repassé, dans la chambre de ma mère qui me servait alors de dressing-room, la chemise que je voulais mettre pour aller au concert d’Alain Barrière. Et j'avais ensuite tout simplement oublié de débrancher mon fer posé sur son support métallique. Lequel support, chauffé au rouge jusqu’à l’incandescence, avait fini par traverser le molleton et la planche de la table à repasser pour se retrouver au sol avec le fer. Le parquet s’était ensuite mis à lentement se consumer. Lorsque le plancher fut réduit en cendres, la combustion se propagea au lit, au gros édredon de duvet, à la literie… Et tout ce qui avait échappé au feu était roussi par une fumée poisseuse et malodorante. Non seulement dans cette chambre, mais dans toutes les pièces de la maison. Meubles, linge, vêtements, tout, absolument tout avait été endommagé par le feu, par la fumée, par les coups de hache et par l’eau. En dehors des habits que je portais sur moi, il ne me restait plus rien.
Parmi les voisins réveillés par la sirène des pompiers et qui s’étaient attroupés devant la maison, certains semblaient déçus de n’avoir vu ni flammes ni cadavres calcinés. Seules mémée Babion et sa fille Marguerite dite Guiguite, la grand-mère et la mère de mon copain Gilles s'intéressèrent à mon sort.
- Tu ne peux pas rester ici. C’est devenu inhabitable. Tu vas venir loger chez nous. Tu partageras la chambre de Gilles.
Ainsi fut fait et je n'oublierai jamais... 
Dix jours plus tard je partais pour une grande tournée allant du Sénégal jusqu'à Madagascar. 
A mon retour, je m'installai dans un nouveau logement tout neuf dans les hauts de Chatou.





***


RIP