Dans la case toute neuve où nous nous étions installés, ma jeune épouse et moi, à Douala près de "l’aviation" et où j’avais établi le bureau de l’agence commerciale Pierson-Meunier-Cameroun que j’avais créée quelques mois plus tôt, nous avions reçu à dîner, un soir d’avril 1969, le responsable export de la distillerie John Dewar dont je vendais le whisky White Label sur le continent africain et avec lequel j’avais fait pendant quelques jours la tournée de tous les bars et boites de nuits de la ville pour faire la promotion de son breuvage.
Ce brave homme, parfait gentleman british s’appelait Leak. (son nom se prononçait "lik")
Après le repas, quand il nous eût quittés, tandis qu’elle aidait le boy à débarrasser la table, mon épouse me voyant passer la main sur la têtière du canapé du salon où notre invité avait été assis au moment de l’apéritif, me demanda ce qu’il y avait là.
- C’est un tif à Leak, répondis-je en faisant disparaitre d’une pichenette un cheveu gris abandonné par notre visiteur.
- Un quoi ? demanda la maîtresse de maison persuadée qu’il s’agissait de quelque petite bestiole exotique qui se serait appelée "tifalik".
Le mot est resté gravé dans ma mémoire.
Aussi, lorsqu’en 1986, j’entrepris l’écriture de mon premier roman dont l’action se déroulait au Congo et dans une île imaginaire des côtes africaines, je l’ai intitulé tout naturellement "Tifalik".
J’avais tapé mon texte sur une vieille machine à écrire Underwood (l’ordinateur n’était pas encore entré dans les mœurs…) et je l’avais ensuite relu maintes et maintes fois pour le peaufiner.
J’y croyais à mon histoire dont j’avais baptisé le héros Léo de Saint-Clair, m’inspirant du nom de l’immeuble où nous habitions à Caluire, près de Lyon, "Les Hauts de Saint-Clair".
J’avais même réalisé un projet de couverture pour mon ouvrage.
Et c’est tout confiant que j’ai envoyé par la poste mon manuscrit photocopié en douze exemplaires aux éditeurs de la grande édition : Gallimard, Seuil, Flammarion, Robert Laffont, Albin Michel, Presses de la Cité, Belfond, le Rocher, Balland, Actes Sud, Phébus, Lattès.
Trois longs mois plus tard, Gallimard et Balland n’avaient toujours pas daigné me répondre (et ils ne me répondront jamais...) tandis que les autres éditeurs m'avaient adressé des lettres de refus standard avec quelques variantes du genre "malgré ses qualités, votre manuscrit ne correspond pas à notre ligne éditoriale" ou "votre texte ne correspond pas à ce que nous souhaitons publier dans nos collections".
Certains éditeurs me proposèrent de leur faire parvenir une enveloppe timbrée si je voulais reprendre possession de mon manuscrit.
Quant à ceux qui me l'avaient retourné, j'ai pu constater qu'ils ne l'avaient souvent jamais ouvert et encore moins lu...
Cette première expérience fut pour moi très douloureuse. J'en avais éprouvé déception et colère et faillis tomber dans la sinistrose, au point de décider de ne plus jamais acheter les livres des maisons d'édition qui avaient rejeté mon ouvrage...
Et puis je passai à autre chose.
Une trentaine d’année plus tard, ayant retrouvé dans un tiroir le manuscrit original de Tifalik lors d'un déménagement, je l’ai actualisé et, préférant m’adresser directement aux lecteurs en m'affranchissant des maisons d’édition traditionnelles, j'ai décidé de le publier sous le titre "Une Île" :
Une trentaine d’année plus tard, ayant retrouvé dans un tiroir le manuscrit original de Tifalik lors d'un déménagement, je l’ai actualisé et, préférant m’adresser directement aux lecteurs en m'affranchissant des maisons d’édition traditionnelles, j'ai décidé de le publier sous le titre "Une Île" :
https://www.edilivre.com/une-ile-francois-sobieraj.html/ |
N'en déplaise aux éditeurs qui l'avaient boudé, l'ouvrage connut un certain succès lors de sa parution et continue son petit bonhomme de chemin...