03/06/2017

Souvenirs d'Abidjan


Lorsque, le 19 février 1965, je suis venu pour la première fois à Abidjan, j’ai eu la sensation de pénétrer dans un sauna. L'atmosphère était étouffante. Ensuite, dans l'enceinte de l'aéroport, l'attitude particulièrement désagréable des fonctionnaires des services de police et de douane me firent une très mauvaise impression. Depuis que je voyageais en Afrique, je n’avais pas encore connu une telle agressivité.


Le chauffeur de taxi à qui j’avais demandé de me conduire à l'hôtel des Relais Aériens de Cocody ne fut pas plus aimable. 
C'était ça l'accueil de la Côte d'Ivoire dont on m’avait dit que c'était un pays de cocagne où les Français se sentaient comme chez eux !



Le boy qui m'accompagna jusqu'à ma chambre se montra plus chaleureux et déclara en empochant prestement mon pourboire :
- Toi patron, tu es le vrai "Gentleman de Cocody".


J'apprendrai ainsi que l'année précédente, le réalisateur Christian-Jaque, qui fut l'époux de Martine Carol, avait tourné ce film dans le quartier chic de Cocody, avec Jean Marais dans son éternel rôle de séducteur de dames (sans rire...), Philippe Clay, Liselotte Pulver et Nancy Holloway. 
Cocody, faubourg d'Abidjan situé au dessus de la lagune Ebrié, était le quartier des ambassades. Les classes aisées, les diplomates, les agents de l’État et les riches expatriés résidaient là dans de somptueuses cases avec parcs et piscines.

Arrivé la veille d'un week-end, j'en profitai pour visiter la ville, notamment le quartier du Plateau que certains surnommaient "le Manhattan des tropiques" avec ses buildings, ses magasins, ses grandes artères, sa circulation intense. C'était le centre administratif et commercial d'Abidjan. La majorité des maisons d'importation s'y trouvaient.



Comme à Dakar, de très nombreux importateurs libanais, les Nazih Kabbani, Farhat frères, Mohamed Mecky, Ramez Achkar, Hassan Daher, Kaladjy, et autres Azar Salame ou Tamer Fakry faisaient la pluie et le beau temps sur le marché des produits de grande consommation. 

 
Ils concurrençaient sérieusement les compagnies traditionnelles et les maisons Bergougnioux, Le Froid Industriel, Abile Gal, CICA, Monoprix, Chaine Avion, etc.




En quittant le Plateau, de l'autre côté du pont Houphouet-Boigny, on trouvait le quartier populaire de Treichville avec ses bars de nuit mal famés.



En revenant à Cocody, je poussai jusqu'au récent hôtel Ivoire inauguré en 1963. Considéré comme l'icône du "miracle ivoirien", c'était alors l'un des édifices les plus prestigieux et les plus modernes du continent africain.


C'était véritablement la très grande classe cet hôtel Ivoire ! Dès l'entrée,  on était impressionné par le gigantisme de l'établissement et son ambiance feutrée. Ça grouillait pourtant de monde dans le grand hall climatisé où des totems stylisés grimpaient jusqu'au plafond. 
C'est là que, quelques années plus tard, je trouverai dans un magasin d'art africain les trois premiers éléments de ma future collection.  


Un masque Dan idéalisant la beauté du visage féminin avec le nez et des lèvres sensibles, un front et un menton doucement arrondis, un "akwa-ba", ou poupée de la fertilité, statuette Ashanti à la tête en forme de disque, aux traits à peine suggérés, portée par un long cou mince et annelé, et un "deble" Senufo, statue pilon d'une hauteur de 152 cm en bois très dur, représentant une femme debout, aux bras écartés d'un corps longiligne pour servir de prise, et au socle en forme de fût avec lequel on frappait le sol lors de cérémonies rituelles de funérailles pour damer le chemin du dernier voyage.


Ces achats seront finalement les meilleurs souvenirs que je garderai de mes séjours à Abidjan.