A trois kilomètres au large de Dakar, Gorée n'est plus aujourd'hui qu'une île musée, refermée comme un piège hors du temps sur son passé de fastes et de souffrances.
Tous les visiteurs (on en compte près d'un millier chaque jour) qui y débarquent en chaloupe s'accordent à le dire : il émane de ses petites rues de sable bordées de maisons ocre à balcons de bois et de ses places profondément endormies sous le soleil une indéfinissable musique.
Mais comment oublier, à la vue de l'imposante Maison des esclaves, que Gorée fut autrefois l'un des principaux "entrepôts" de la traite négrière ?
Dès le XVII° siècle, Portugais, Hollandais, Anglais et Français se disputent la petite île de pêcheurs pour en faire un bastion du trafic triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Certains y mènent alors joyeuse vie. Dans les lettres adressées à sa fiancée Éléonore de Sabran, le chevalier de Boufflers, gouverneur du Sénégal au XVIII° siècle, chantait les délices de Gorée, vantant les fêtes galantes qu'y donnent les "signares".
Ces élégantes aristocrates métis, combinant affaires et plaisir, avaient fini par constituer une redoutable puissance en se mariant "à la mode du pays" aux Européens avides de posséder l'îlot.
Mais tandis qu'à l'étage des belles maisons de maîtres, signares et négriers buvaient le vin de palme, dans l'ombre des cachots, les malheureux "bois d'ébène" croupissaient, avant d'être entassés dans la Maison des esclaves pour être déportés vers les Amériques.
Pour un esclave parvenant à destination, quatre mouraient en route. On considère qu'au moins cinquante millions d'hommes et de femmes furent arrachés à l’Afrique avant que, sous l'impulsion de Victor Schoelcher, l'abolition de l'esclavage fût proclamée en 1848.
La fin de cette sinistre période devait sonner le déclin de l'île de Gorée qui est devenue un lieu de pèlerinage, notamment pour de très nombreux Noirs américains.